Comment l’éco-conception peut intégrer la chaîne de valeur de produits complexes, de services et de système ? Jeudi 8 novembre, 14h-15h30, congrès [avniR], Lilliad.
4 intervenants :
- Fabien MICHELIN, Expert en maîtrise des risques environnementaux et éco-conception, Direction Technique, Direction Générale de l’Armement (DGA)
- Cécile QUERLEU, Consultante, Thinkstep AG
- Solène DOUBLIEZ, Ingénieure, chargée de mission Economie Circulaire pour la communauté de communes de Pévèle-Carembault
- Léa DEVIC, Consultante éco-conception, Coopérative MU
Animée par :
- Nicolas PERRY, Professeur d’université, Arts et Métiers Bordeaux
- Dr Véronique PERROT BERNARDET, Enseignant/chercheur chez Arts et Métiers ParisTech / Institut de Chambéry
La question de l’intégration du cycle de vie dans la chaîne de conception des produits est une question complexe. En effet, outre la complexité des enjeux techniques du recyclage des produits, le nombre d’acteurs à mobiliser contribue à engendrer des difficultés supplémentaires quant à sa mise en œuvre. Plusieurs stratégies et outils innovants, basés sur l’analyse du cycle de vie (ACV) et l’économie circulaire, ont été présentés et permettent d’ouvrir de nouvelles possibilités quant à l’intégration de l’éco-conception dans les systèmes de mise en valeur de produits complexes, de systèmes et de services.
Cette conférence s’est déroulée en trois temps :
- Présentation de Fabien MICHELIN (Direction Générale de l’Armement – DGA); l’intégration de l’éco-conception dans le cahier des charges des fournisseurs des forces armées.
- Présentation de Cécile QUERLEU (Thinkstep AG); l’outil GaBi Envision, une innovation pour l’analyse du cycle de vie des emballages.
- Présentation de Solène DOUBLIEZ et Léa DERVIC (Coopérative MU); qualité de vie et économie circulaire : le projet « circular interiors » et la maison des entreprises à Pévèle Carembault.
L’intégration de l’éco-conception dans le cahier des charges des fournisseurs des forces armées.
La démarche actuelle de la DGA tend à intégrer de plus en plus l’éco-conception et la réflexion sur le cycle de vie des produits destinés aux forces armées. Fabien Michelin nous présente comment la DGA souhaite intégrer cette démarche dans le cahier des charges opérationnel des maîtres d’œuvres.
Le marché des forces armées est un système économique complexe et très spécifique. Tout d’abord, il s’agit d’un marché de niche, où à peine une centaine de produit d’un même modèle sont conçus. La complexité du système se trouve dans le nombre de fournisseurs ainsi que de leur grande diversité face à la sensibilisation aux enjeux environnementaux. En général, il n’y a peu ou pas de besoin écologique. Le créer est un des premiers enjeux de la DGA.
L’intérêt de cette démarche se trouve tout d’abord dans l’anticipation des contraintes réglementaires, concernant la fin de vie des produits par exemple. Aussi, il est important de noter que cela amènera des avantages opérationnels, entre autres l’augmentation de l’autonomie des forces armées et la réduction de la vulnérabilité des chemins de logistiques. En effet, le dialogue et la concertation sont privilégiés entre les différents acteurs afin de mettre au point un système cohérent entre chacun des fournisseurs. Il s’agira de penser cycle de vie en amont de la conception du produit, pour garantir une utilisation et un démantèlement optimale et en accord avec les enjeux environnementaux actuels.
Pour ce faire, la DGA a mis au point deux outils complémentaires, deux grilles éco-conception. Ceux-ci sont basés sur une intégration progressive, systémique et concertée entre les différents partenaires. Le but étant de faire adhérer les acteurs à intégrer ces grilles éco-conception de façon routinière, et non de les contraindre. La première grille est utilisée pour mesurer le processus d’intégration du critère environnement dans le management de l’entreprise. La seconde, plus opérationnelle, servira à mesurer cette intégration dans la conception d’un produit. Pour le moment, il n’y a pas d’obligation de résultat, seulement une obligation de moyens, preuve à l’appui. La finalité est de sensibiliser les industriels et de les accompagner dans cette nouvelle démarche.
Actuellement, il reste des acteurs à convaincre, d’autant plus que les industriels vont attendre un retour sur investissement. L’échelle de temps est ici sur du temps moyen, voire long, environ une vingtaine d’années. À terme, la DGA prévoit de pousser ses exigences jusqu’aux obligations de résultat. Mais cette démarche est prometteuse et permettra de nombreux avantages, qu’ils soient opérationnels, économiques (avec une baisse des coûts de démantèlement par exemple) et un impact environnemental positif.
L’outil GaBi Envision, une innovation pour l’analyse du cycle de vie des emballages.
Le secteur des emballages est aujourd’hui encore en pleine croissance. Cécile Querleu commence sa conférence en nous posant le contexte de l’industrie de l’emballage aujourd’hui. Rien qu’en France, 5 millions de tonnes d’emballages sont jetés tous les ans. Parmi ceux-ci, 80 % des emballages verres, mais à peine 22 % des plastiques sont recyclés, le reste étant stocké, brûlé ou enfoui. Ce constat montre que ce secteur est loin de la circularité, malgré les efforts employés. De plus, ce secteur est actuellement sous pression de la part, de la société civile puisque près de 46 % des français pensent qu’il y a trop d’emballages. Mais aussi de la Commission Européenne, qui demande à ce que 75 % des packaging soient recyclés d’ici 2030.
Bien sûr les industriels de l’emballage ont trouvé des moyens de réduire leur impact environnemental, en intégrant plus de matières recyclées dans leurs plastiques ou en réduisant le volume du plastique dans l’emballage mais ces méthodes montrent vite des limites techniques. De plus, pour les emballages alimentaires notamment, il est plus complexe de se passer d’emballages puisque celui-ci regroupe sept fonctions entre autres la préservation de la qualité de la nourriture ou la prévention des risques microbiens ou chimique. Ainsi, au vu des nouvelles réglementations en vigueur et de la progression de l’opinion publique en faveur de l’écologie, il est devenu impératif pour les entreprises d’intégrer l’ACV (Analyse du Cycle de Vie) dans la conception de leurs produits. Cependant, n’étant pas experts dans ce domaine, les entreprises ont besoin d’une solution pour mesurer l’impact environnemental des emballages.
Pour ce faire, Thinkstep, représenté par Cécile Querleu, a mis au point un outil simplifié mais complet pour répondre à ce besoin : le logiciel GaBi Envision. Celui-ci est basé sur les standards de l’ACV et permet de considérer l’ensemble du cycle de vie d’un emballage selon certains critères comme l’empreinte carbone ou la consommation d’énergie grâce à la base de données GaBi. À ces critères a été rajouté un nouvel indicateur, celui de la circularité, pour répondre à la demande d’économie circulaire, intégré suite à un travail en collaboration avec Hélène McArthur. Le logiciel est simple d’utilisation puisqu’il suffit de renseigner les critères du produit à partir de la base de données, il permet d’obtenir un document extractible sous PDF selon différents scénarios, permettant de voir la fin de vie du produit et donc d’avoir une idée de sa responsabilité élargie en terme d’ACV. Le logiciel comporte les mini-cycle de vie des produits qu’il ajuste ensuite en fonction de divers critères, comme la zone géographique, les matériaux utilisés ou l’hypothèse de fin de vie du produit. Le logiciel, en plus de tableaux quantitatifs, donne un paragraphe dédié au « material circularity indicator » qui va épauler l’industrie dans sa prise de décision.
L’enjeu reste complexe pour les entreprises mais GaBi Envision offre une aide pour mesurer la performance environnementale de l’emballage qu’il souhaite mettre sur le marché. Sa flexibilité au niveau des paramètres via la sélection d’indicateurs permet de fournir un rapport qui peut être utilisé en interne comme en externe. Un autre avantage réside dans le fait que ce logiciel permet des mesures rapides sur le cycle de vie de plusieurs produits. Il permet ainsi répondre rapidement aux différents acteurs de la chaîne de production sur si oui ou non, le produit doit être mis sur le marché.
Qualité de vie et économie circulaire : le projet « circular interiors » et la maison des entreprises à Pévèle Carembault.
Pour certaines communes, l’économie circulaire apparaît comme un levier pour le développement et l’attractivité de leurs territoires. Solène Doubliez et Léa Devic nous présentent un exemple, encore en réflexion, celui de la maison des entreprises dans la communauté de communes de Pévèle Carembault. Projet d’aménagement intérieur, financé par la région Haut-de-France et l’Europe, accompagné par le projet « circular interiors », la maison des entreprises jouent la carte du lien entre économie circulaire et qualité de vie au travail. Située dans un regroupement de 36 communes, au Sud de Lille, ce territoire est idéal à l’implantation d’un espace de télétravail et de coworking. En effet, Pévèle Carembault est une zone intermédiaire entre ville et campagne, entre lieux de travail et lieux de vie. Par conséquent, cette communauté de communes est au centre de migrations pendulaires et est un lieu d’implantation de nombreuses entreprises et PME. De plus, le cadre de vie, à la campagne, est agréable et la commune mise sur des projet de territoires durables en exploitant ces forces et avec une valorisation du bâti pour augmenter son attractivité. Depuis 2012, elle accompagne ses entreprises vers le développement durable et voit dans l’économie circulaire un levier pour renforcer la durabilité.
Ce projet d’espace de coworking s’inscrit dans la démarche d’innovation « cicular interiors » qui concerne l’agencement du lieu comme porteur de qualité de vie au travail et contribuant au développement de la personne : bien vivre son travail, bien faire son travail et le faire durablement. L’économie circulaire est, dans ce projet, au service de cette qualité de vie. De plus, pour la coopérative Mu, voit dans l’économie circulaire et ses multiples définitions et approches, autant de stratégies d’éco-conception différentes et complémentaire avec d’autres enjeux. Chez Mu, tout produit à un impact sur l’environnement comme nous le rappelle Léa Devic : « le produit qui n’a pas d’impact est celui qui n’existe pas » et il est donc important de prendre en considération plusieurs contraintes lors de la conception du dit produit, qu’elles soient d’ordre technique, de prise en compte de l’humain et bien sûr de prise en compte de l’environnement afin de réduire au mieux cet impact. En cela, l’économie circulaire apporte les clés de cette prise en compte puisqu’il s’agit d’une démarche préventive qui vise à intégrer l’environnement dans la conception des produits.
Le projet à Pévèle Carembault intègre donc deux approches préventives, l’économie circulaire et la qualité de vie au travail, qui semble complémentaires sur beaucoup de points. Une meilleure conception des produits allié à un meilleur usage qui réduira les risques environnementaux et les risques liés au travail. Ces deux démarches sont de plus systémiques, il faut donc voir au-delà du lieu en lui-même et prendre en compte le contenu, le sens et la capacité d’expression des employés.
Pour établir un état des lieux, Solène Doubliez et Léa Dervic ont réalisé une analyse du cycle de vie sur 3 espaces différents, un bureau, un open space et une salle de réunion selon des données moyennes des pratiques représentatives, des standards d’utilisation de ces espaces et d’estimations. Chaque éléments intégrés (l’espace, le mobilier et les équipements électroniques et électroménagers) ont été analysés et les résultats ont été normalisés selon plusieurs indicateurs comme l’écotoxicité ou la consommation de ressources. En parallèle, une étude sur le ressenti des personnes au travail a été réalisé avec des interviews de parties prenantes (agenceurs, ergonomes, gestionnaires de l’espace de travail) et en collaboration avec Elodie Caillot, experte en qualité de vie au travail.
Les enjeux qui sont ressorti de ce travail sont globalement les mêmes pour les trois espaces : le matériel informatique arrive sans surprise dans les premiers contributeurs, suivi par l’éclairage ou le chauffage, malgré les bonnes pratiques choisies (panneaux photovoltaïque et chauffage au bois). Avec les enjeux de la qualité de vie au travail, comme la santé, l’ergonomie, l’accès à la lumière naturelle notamment, mais aussi l’agencement même du lieu qui participe à l’entente entre les personnes, il a pu être possible de faire coïncider ses résultats. Il s’agit ensuite d’utiliser les leviers de l’économie circulaire pour diminuer les impacts environnementaux de l’agencement tout en augmentant la qualité de vie au travail. Les principales lignes d’actions qui en ressortent concernent entre autres la quantité de matériel informatique nécessaire ou la recyclabilité et l’allongement de la durée de vie des équipements par l’usage responsable. Certains enjeux sont complémentaires : par exemple, la lumière naturelle augmente la qualité de vie au travail et réduit la consommation électrique. Mais d’autres enjeux s’opposent, comme le besoin d’écrans multiples pour éviter les douleurs aux cervicales, ce qui augmente cette consommation.
Actuellement, le projet est encore en construction : l’état des lieux est terminé mais il reste à créer des solutions, à travailler sur des innovations pour les éléments et l’agencement de l’espace de travail en partageant des expériences avec divers acteurs, tout cela mené conjointement avec la PEZAC. Ensuite, il faudra coucher sur papier le concept de l’agencement puis écrire aux marchés publics pour la commande afin d’intégrer cet agencement dans le bâtiment, qui lui existe déjà. En parallèle de ce travail, une autre mission de Solène Doubliez et Léa Devic est de faire connaître ce projet expérimental pour faire évoluer une filière d’avenir. On les retrouvera notamment à Lille Capital Mondiale du Design en 2020 ainsi que, sans doute, la prochaine conférence du congrès [avniR].
Cette conférence nous montre, par le biais d’expériences et de contextes différents, que la pensée en ACV est pertinente pour répondre aux enjeux actuels en matière d’environnement et cela dans des domaines aussi variés que l’aménagement de l’espace, la conception de produits destinés au grand public ou même sur des marchés plus spécifiques comme l’armement. Encore à ses balbutiements, les initiatives développés par de nombreux acteurs apportent une vision encourageante et ce secteur semble aujourd’hui dans une dynamique de progression et d’innovation économique, technique et sociale.
Claire Leloire
(CP: A. Tarall)